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Applis citoyennes : pourquoi la mayonnaise ne prend pas ?

On a tous envie d’un service public plus réactif, de lampadaires qui marchent, de routes praticables, d’ordures correctement collectées… mais sommes-nous prêts pour cela à nous changer en caméras de surveillance ?

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Selon une étude de Syntec Numérique, la moitié des Français aurait déjà utilisé une application mobile citoyenne. Mais entre les avoir utilisé une fois, et les utiliser au quotidien, il y a un fossé : vous en avez sur votre smartphone, vous, des applications citoyennes ? On ne parle pas ici de Waze, AirBnB ou autres applications d’entraides entre particuliers, mais d’applications mettant en contact les citoyens et leurs administrations, afin de signaler divers incidents, dégradations, dysfonctionnements et de permettre ainsi des interventions plus rapides. Pour réparer un lampadaire par exemple.

La technologie est là, à en lire les chiffres de Syntec Numérique, l’envie est là aussi, quant à l’utilité de la chose, elle semble assez évidente. Pourtant, ça ne prend pas, et pour un bon nombre de raisons.

Le premier pas

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Contrairement aux applications d’entraide entre particuliers, les applications citoyennes nécessitent que l’administration en question joue le jeu, et cela ne signifie pas seulement proposer le service. Si l’utilisateur n’obtient pas rapidement de retour sur ses signalements, il va vite oublier l’application. C’est donnant-donnant, et pour l’instant, rares sont les villes à s’intéresser à ces nouvelles pratiques. Quelques-unes s’y essayent cependant, en France, on peut citer Nice, Poitiers ou Nemours, mais faute d’investissement assez conséquent, ces applications sont souvent mal fichues et/ou n’excèdent guère le millier de téléchargements. L’initiative Fix My Street à Bruxelles est plus prometteuse, avec plusieurs milliers d’incidents signalés et traités chaque mois, mais elle ne semble pas encore faire beaucoup d’émules, et pour cause : un service de ce type coûte cher, en temps, en argent, comme en moyens.

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L'application Risques Nice. Une initiative honorable, mais qui n'a pas trouvé son public.

Les dérives

Un autre gros frein aux applications citoyennes est les dérives que celles-ci peuvent engendrer. À quel moment en effet s’arrête le signalement et commence la délation ? Où s’arrête la délation et commencent la diffamation et la calomnie ? La question ne se pose pas quand il s’agit de signaler un affaissement de la chaussée, mais avec un graffiti par exemple, signalons-nous la dégradation ou le délit ? Et en signalant un délit, le faisons-nous par devoir citoyen ou vengeance personnelle ? Des dérapages avaient déjà eu lieu sur iOS où l’application Observer la loi proposait notamment de signaler les femmes portant le voile intégral, sous prétexte de l’interdiction de dissimulation du visage dans l’espace public. En résulte une belle incitation à l’islamophobie qui a été dénoncée par Manuel Valls et a causé le retrait de l’application.

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L'application Observer la loi, retirée de l'App Store d'Apple.

Un morcellement des applications

Vient en fait le problème du morcellement. Comment faire entrer ces signalements citoyens dans les usages si cela nécessite d’avoir sur son smartphone une dizaine d’applications : une pour les graffitis racistes, une pour la voirie, une pour les alertes santé, une pour la commune où on réside, une pour celle où l’on travaille… pour fonctionner, ces applications citoyennes doivent être unifiées… et cela ne présage rien de bon.

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CityZen, le projet de Microsoft, actuellement en test à Hyderabad.

Des solutions peu engageantes

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La solution serait alors de laisser cette application aux mains d’une entreprise qui se chargerait de la développer, communiquer dessus et l’imposer au public. L’anonymat y serait banni pour éviter toutes dérives, et les administrations s’empresseraient alors de payer pour ces services qui auraient déjà trouvé ses utilisateurs. Mais ne nous voilons pas la face, qui auraient les moyens d’assurer un tel service ? Google, Microsoft, Apple, Amazon… bref, la crème de la crème des libertés individuelles et du respect de l’utilisateur. Microsoft travaille d’ailleurs déjà sur une application de ce genre, CityZen, actuellement à l’essai dans quelques villes indiennes.

Souhaitons-nous vraiment que les géants du Web servent d’intermédiaire entre les administrations et nous ? A-t-on vraiment envie, si ce n’est pas déjà le cas, de leur communiquer notre identité et notre géolocalisation ? Qui voudrait devenir leur caméra de surveillance ?

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